Je vous invite cette fois à la découverte d'un micro-secteur du département de l'Orne : celui des larges méandres que fait l'Orne entre Putanges et Ecouché... On peut y découvrir le site original du Camp du Haut du Château datant du néolithique dont une partie fut réutilisée au 11ème siècle par Robert de Bellême pour y construire son château : le château Gonthier.
La Courbe possède également une motte féodale à proximité de son église et le manoir de La Queurie datant des 15e et 16e siècles. [NDB]
« La Courbe doit son nom à la présence des méandres de l’Orne sur son territoire. Ce fleuve traverse la commune sur 9.6 km en érodant les collines de schiste-gréseux pour former son magnifique paysage. » [1]
« Tout le terroir de La Courbe tient à peu près en deux presqu’îles, qui chacune ont leurs curiosités archéologiques et leurs légendes pittoresques ; dans celle du nord, les fameux retranchements vitrifiés et la ferme fortifiée du château ; celle du sud, Pierre Tournoire, l’église, le tumulus et la levée dite voie romaine.
La Courbe aujourd’hui humble commune, quasi inconnue, a été à plusieurs époques une place de guerre considérable. Qui commandait les gués au point ou l’Orne commence à prendre quelque importance ; ce village a eu ses marchés ; ses habitants ont joui du droit de bourgeoisie et dans la liste de ses seigneurs on rencontre les noms les plus sonores de France. (…) La paroisse comptait trois fiefs ; Château-Gontier, La Queurie et La Courbe. » [2]
Plan hypothétique du site du Haut du Château et du Château Gontier à la Courbe ; blason de la famille de Montgommery : Blason dessiné par O. de Chavagnac pour l'Armorial des As. http://dechav.free.fr/armorial/blason.php?id=Montgommery_Normandie
Différentes vues des fossés du "Haut Château" de la Courbe : photos Gilloudifs ; de gauche à droite : photo 1 au point n°5 du plan ; photo 2 au point n°4 du plan ; photos 3-4 au point n°1 du plan.
« L'isthme au niveau du hameau « le Haut du château » offre le seul chemin praticable qui permet depuis le plateau d'atteindre facilement le fond de la vallée et un passage à gué. Au cours du temps, il a été barré par cinq levées de terre et de pierres. Elles ferment les accès d'un vaste camp retranché dont la surface de six hectares s'étend sur une longueur de six cents mètres et sur une largeur limitée par les abruptes du relief.
Les études entreprises aux 19e (dès 1830) et 20e siècles ont permis de décrire avec précision ce site fortifié dont l'origine et l'histoire restent méconnues jusqu'au 11e siècle. » [3]
Ci-dessus, plaquette éditée par le Conseil départemental de l'Orne sur les Espaces naturels sensibles.
« Les pierres brulées [C] : La presqu’île au nord a été habitée par les Néolithiques fut probablement un camp. Au premier âge de fer (époque de Halstatt, milieu de l’ère chrétienne) les occupants créèrent un barrage, une fortification ici appelée les Pierres Brulées ou Brûlins. Composée de murs de pierres d’une dizaine de hauteur, formés d’une maçonnerie de grès ou le mortier a été remplacé par du sable de granit ; le tout soumis à un feu intense (environ 1300 degré) a réalisé par endroits, grâce à la fusion du sable, un conglomérat dont certains blocs représentent quelques centaines de kilos avec un aspect scoriacé. Ce site fut aménagé en forteresse en 1089-1090, par Robert de Bellême. » [2]
A gauche, plan extrait du cadastre napoléonien de 1813 ; à droite ; photo aérienne extraite du site Géoportail.
Le Château Gonthier ou Gontier [C]
(sur le site du Camp du Haut du Château à La Courbe) :
Photos ci-dessus du Château Gonthier extraites d'un site néerlandais très complet et fort bien documenté sur les mottes en Europe dont celles de Normandie : http://www.basaarts.nl/vraagbaak.php
Robert de Bellême « fit élever la première forteresse sur une éminence appelée Fourches, et y mit pour la garder une partie de ses vassaux de Vignats. il fit bâtir le second fort dans la paroisse de la Courbe sur Orne et le nomma Château-Gontier. L'unique but qu'il se proposait était, comme on le pense bien, de tenir sous son joug les habitants de ces contrées, serfs et vassaux, et d'agrandir ses domaines... » [5]
« Pendant la période historique, en 1089-1090, l'enceinte limitée par le premier et le troisième rempart fut aménagée en forteresse par Robert de Bellême. Un castel seigneurial bâti sur les ruines du vieux château brûla accidentellement en 1770. Les seules traces visibles de ces deux constructions sur les parcelles aujourd'hui en prairie sont celles du sous-bassement d'un vaste pigeonnier circulaire au sud-est du champ du logis. » [3]
« La puissance de Robert de Bellême s'appuie sur un réseau castral dense. D'après Orderic Vital, le baron commande 34 châteaux sur les marches normanno-mancelles. Citons parmi ces forteresses : Bellême bien sûr, Alençon, Domfront, Argentan, Ballon, Ceton, Lurson, Fourches, Boitron, Almenêches. Le moine-historien raconte comment Robert construit des places fortes en usurpant des terres dans des secteurs stratégiques, par exemple à La Courbe dans le pays d'Houlme. Cet ensemble de fortifications est en lien avec la politique belliqueuse du seigneur de Bellême. » [4]
A gauche, plan extrait de http://www.archeo125.org/visites/13A_pagimage04.php ; au centre et à droite, plans extraits de la plaquette du Conseil départemental de l'Orne sur les espaces naturels sensibles.
Caumont, 1835 : « Je sais bien, Messieurs, que les écrivains du moyen âge, et Orderic Vital principalement, ont dit que le château Gontier avait été bâti par les Bellêmes, sous le duc Robert II, de Normandie, fils du conquérant. Ce fut en effet Robert II, de Bellême, qui dut construire le donjon, dans le temps où il fondait Vignats et Almenèches. Mais ce fait peut être exact sans que l'on cesse de reporter aux époques de l'invasion saxonne la création primitive du camp fortifié, et la formation de ses remparts. Robert de Bellême trouvant cette position excellente, déjà défendue, et offrant d'excellents matériaux pour bâtir un donjon ou château, s'en sera emparé et en aura fait une de ses forteresses féodales, en l'appropriant autant que possible aux usages de son siècle. Mais telle qu'il l'a disposée, on doit avouer qu'elle ne ressemble point encore aux grandes enceintes adoptées de son temps et dans le siècle suivant. Le camp retranché, en forme de carré long, placé derrière le donjon, ne se serait point trouvé dans un château féodal. Il y eût été du moins établi sur le premier plan. J'ajouterai de plus que les restes de murs du donjon, bien qu'offrant de nombreux fragments de pierres passées au feu, n'en sont point exclusivement composés. La pierre de grès naturelle s'y trouve en abondance. Ces murailles ne sont plus liées d'ailleurs comme celles du camp. Il est donc évident que ce travail n'est plus le même que le premier. Pour élever le second château, Robert de Bellême aura employé à la fois la roche naturelle que lui offraient les flancs de la montagne et les fragments vitrifiés qui provenaient de la destruction d'une partie des remparts primitifs. Voilà l'explication qui me semble la plus naturelle. Le château Gontier fut pris et repris à diverses fois, même pendant la vie orageuse de ce Robert de Bellême, qui l'avait élevé. L'histoire fait entendre que le duc Robert, de Normandie, et le roi Henri Ier d'Angleterre, son frère, l'attaquèrent et s'en emparèrent en personne. Depuis eux, la forteresse ne paraît plus avoir joué un rôle bien important, et ses ruines passent même pour avoir été abandonnées bien avant la chûte de la féodalité. On rebâtit plus tard, au milieu des décombres du vieux château, un castel seigneurial que le feu détruisit dans le dernier siècle. Tel qu'il est encore, cet emplacement est un des plus curieux qu'un antiquaire puisse visiter dans nos contrées. » [7]
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« La Courbe est un village curieux aux maisons de cornéennes. Ce hameau fut jadis une place de guerre considérable, commandant les passages de l’Orne et les maisons jouissaient du droit de bourgeoisie.
Un important patrimoine en témoigne :
- La Pierre Tournoise (menhir schisteux) [F], » [1]
« Dans l'une des boucles fermées par le cours de l'Orne se situe un menhir qui, dit-on, est une pierre tourneresse qui se déplace pendant la nuit de Noël. On prétendait que ce bloc était, autrefois, couché à plat sur le sol pour recouvrir un trou où une fée avait dissimulé son trésor. » [6]
Photo ci-dessus extraite de http://www.megalithic.co.uk/modules.php?op=modload&name=a312&file=index&do=showpic&pid=13752
- « Les remparts vitrifiés (muri galliculi de la fin de la Tène, dernier siècle de l’indépendance gauloise, Ie siècle avant J.C.) [C],
- Les fortications (butte en face de l’église) [E], » [1]
« La butte artificielle d'une dizaine de mètres de hauteur située prés de l'église a longtemps été considérée comme un monticule de terre et de pierres destiné à protéger une sépulture pré- ou protohistorique. On y a cherché en vain un trésor funéraire au milieu du 19e siècle en creusant une profonde tranchée dont les traces sont encore visibles.
Aujourd'hui la situation et l'environnement de cette structure laissent penser qu'il s'agit plutôt d'une motte castrale. Ce système défensif de la fin du premier millénaire était constitué d'une butte destinée a servir d'assise à une tour de guet en bois et d'une ou plusieurs "basses-cours" sur lesquelles étaient établis les bâtiments résidentiels et domestiques. L'ensemble était protégé par un système de fossés et de talus palissadés.
L'isthme de la presqu'île sud partiellement isolé du plateau par une dépression est un site idéal pour établir une telle fortification. il est protégé naturellement par les abruptes du relief et à une époque inconnue, son accès le plus vulnérable depuis le gué a été barré par une impressionnante levée de terre et de pierres. Ce rempart isole sur le sommet du relief, la butte et deux parcelles que l'on peut supposer être deux basses-cours. Sur la première, l'église paroissiale pourrait avoir été construite en remplacement d'une chapelle seigneuriale et la seconde appelée le « Clos de la Motte » porte un nom peut-être significatif. » [3]
Photo ci-dessus extraite de http://www.archeo125.org/visites/13A_pagimage04.php
- Le château Gontier (érigé en 1090 par Robert de Bellême, et dont il ne reste que l’entrée d’un souterrain, [C] (voir ci-avant)
- La ferme du Château (portail en plein cintre du 15e),
- Le moulin du Château tapi au pied de l’escarpement (rive de l’Orne)
- Le manoir de la Queurie. » [1] Modeste demeure du 15-16 siècle [G]. « Cette ancienne résidence que l'on peut considérer comme « primitive » est bâtie suivant un plan rectangulaire orienté Nord-Sud. Elle est flanquée sur sa façade Est d'une tour d'escalier hexagonale qui dessert les trois niveaux d'habitation. » [3]
« On contait (*) que lors de la délivrance d'une dame de la famille Le Queu l'enfant — c'était une fille — disparut, tout à coup, la nuit même de sa naissance, en s'envolant par la fenêtre sur l'appui de laquelle elle laissa l'empreinte de son pied. Depuis, on n'entendit plus parler d'elle, jusqu'au moment où ses frères se partagèrent l'héritage paternel. Au moment où ils étaient réunis pour procéder à la « choisie » des lots, une voix se fit entendre. La fée — c'en était une — réclamait sa part. Saisis de frayeur les frères lui abandonnèrent les manoirs de la Queurie, de Giel, et de Crèvecœur avec leurs circonstances et leurs dépendances. L'héritière aussi étrange qu'inattendue se déclara satisfaite.
On ne dit pas comment elle administra ses biens. On sait seulement que le meunier du moulin seigneurial de la Queurie était obligé de porter chaque semaine une chaudronnée de bouillie dans le creux d'un vieux frêne qui se trouvait dans le bois. S'il y manquait il était outrageusement tourmenté et battu par des mains invisibles. De plus la fée se montrait très jalouse des bois. Si quelque paysan se permettait la moindre bûche sur le domaine sans en avoir humblement demandé la permission à la Dame Blanche de la Queurie, il était roué de coups la nuit suivante.
La fée, à part cela, se montrait assez bonne fille. On la voyait de temps à autre, au crépuscule, se promener le long du bois et il arrivait parfois qu'elle sautât en croupe sur le cheval d'un voyageur attardé et qu'elle l'accompagnât sans souffler mot jusqu'au bout du domaine. S'il se montrait discret et sage la mystérieuse sylphide le remerciait gracieusement en le quittant. Mais si, surmontant sa légitime frayeur et émoustillé par cette belle jeune femme dont le bras enlaçait sa taille, il se permettait la plus légère liberté il était souffleté de main de fée. Avec le temps le charme fut rompu et la fée disparut.
Une autre diablerie existait au manoir de la Queurie, c'était un trou dans la toiture qu'on ne parvenait pas à boucher. Les couvreurs qui se risquaient à tenter l'aventure étaient secoués par des mains invisibles, leurs échelles se détachaient, les tuiles ou ardoises s'envolaient et la « brèche au diable », comme on l'appelait, restait toujours à l'état de trou béant rendant une partie du manoir inhabitable. »
(*) Légende due à Dufay, instituteur à Vieux-Pont (Orne) qui la tenait d'un veillard de 85 ans qui la tenait lui-même de son père a été publiée dans les « Mémoires des Antiquaires de Normandie » tome XXII ; « Les chambreries de Troarn ». [6]
« Les camps dit Camp du Haut du Château [C] et Camp du Bas de la Courbe [D] sont deux sites archéologiques inscrits aux Monuments historiques depuis 1987 » [4]
A proximité (voir plan ci-avant)
O à l'Ouest :
- Le menhir de la Longue Roche à Giel-Courteilles [A] : « D781 (direction Ménil-Jean). Près du pont de la Villette s’élève le menhir (pierre dressée, du mot celte, pierre longue) de la Longue Roche : prendre le chemin à droite avant le pont (aire de pique-nique). Ce menhir est un bloc de granite quadrangulaire légèrement incliné au nord. Il est haut de 3 mètres pour une largeur de 1,80 mètre et une épaisseur de 1 mètre. Sa base est grossièrement orientée est-ouest. Le bloc est de provenance locale. » [8]
Photo ci-dessus extraite de http://www.office-tourisme-putanges.com/decouvrir/megalithes.html
- La chapelle Notre-Dame de Pitié [B] : « Sur la commune de Ménil-Jean se trouve la chapelle Notre-Dame de la Pitié. Elle est située dans un cadre magnifique, en foret, dominant la rivière Orne.
Ici calme et sérénité. La chapelle constitue les restes de l'église primitive du 12e siècle.
A voir : les piliers romans, les fenêtres, l'une romane, l'autre trilobée, le cimetière sans tombe mais avec un vieil if (planté sans doute au moment de la construction de l'église), l'autel avec la statue de la vierge et l'enfant du 14e siècle. » [9]
Ci-dessus, photo extraite de http://www.petit-patrimoine.com/fiche-petit-patrimoine.php?id_pp=61270_2
O à l'Est :
- Le château de Ménil-Glaise [H] : « Dominant l’Orne d’une soixantaine de mètres, le site de Ménil-Glaise se trouve dans l’une de ces boucles, ceinturé de part et d’autre par le fleuve. C’était une position défensive idéale pour y implanter un château fort dont on peut voir encore, des bras de l’Orne, deux tours qui flanquent la vieille enceinte agrippée au rocher (il semble probable qu’il y avait là un château médiéval, bien qu’aucun document ne le confirme). Le château actuel, de style néo-Renaissance, fut construit à la fin du 19e siècle sur cet emplacement. » [10] La question de l'existence d'un château médiéval sur cet emplacement reste posée. (NDB)
- La chapelle Saint-Roch [I] : « Le petit chemin près du pont vous fera découvrir les lieux d'une manière sportive. A mi-parcours, la chapelle vouée à saint Roch constitue un lieu de pèlerinage très ancien mais toujours actif. Chaque lundi de Pentecôte, les pèlerins des environs implorent la guérison à celui que l'on représente toujours accompagné de son chien.
Quelques mètres plus hauts, le panorama unique sur la vallée de l'Orne vous rappelle que la Suisse Normande débute ici, sous vos yeux. » [11]
Sources :
[1] Extrait de http://mairielacourbe.unblog.fr/67/
[2] Extrait de http://www.cdc-courbesdelorne.fr/la_courbe.asp
[3] Extrait de http://www.archeo125.org/visites/13A_pagimage04.php
[4] Extrait de Wikipédia ou https://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_II_de_Bell%C3%AAme
[5] Extrait de http://cgs-61.kazeo.com/famille-de-belleme-c27685236
[6] Extrait de Légendes de Basse-Normandie, inventaire communal d’Édouard Colin ; éd. Charles Corlet 1992.
[7] Extrait du Rapport sur les monuments historiques de l'arrondissement d'Argentan par MM de Caumont, de Brix et Galeron in Les Mémoires De la Société des Antiquaires de Normandie, Volume 9 ; Mancel, 1835.
[8] Extrait de http://www.office-tourisme-putanges.com/decouvrir/megalithes.html
[9] Extrait de http://www.petit-patrimoine.com/fiche-petit-patrimoine.php?id_pp=61270_2
[10] Extrait de http://www.patrimoine-normand.com/index-fiche-29949.html
[11] Extrait de https://ecouche-ranes-tourisme.jimdo.com/d%C3%A9couvrir/d%C3%A9couvrir-environs/mesnil-glaise/
Bonnes pages :
O http://valdorne.eklablog.com/la-courbe-a112972660
O Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie, Volume 9 Mancel, 1835 https://books.google.fr/books?id=93xfAAAAcAAJ&pg=PA489&lpg=PA474&ots=Mva2AvsvXc&focus=viewport&dq=remparts+d%27Ecouch%C3%A9&hl=fr&output=text#c_top*